Les artistes de tadlachance : Jean Louis Paquelin
Jean-Louis Paquelin joue avec des techniques, des concepts, la répétition et les combinaisons aléatoires. Son travail tout en finesse et en ironie propose au spectateur des installations qui inteeragissent avec le lieu et le contexte. Il adopte une démarche conceptuelle en concevant un programme et une technique particulière adapté à chaque projet. Dans la tradition de Duchamp, Cage et Fluxus, il soumet ses œuvres aux lois du hasard et permet ainsi à la chance de générer des compositions. Ses interrogations principales portent sur le processus de création du projet. Qui crée ? Qui est créé ? Le créant du créé, le crée du créant se départagent-t-ils ? Invité à plusieurs reprises lors d’événements réalisés par tadlachance, le travail de Paquelin ouvre des pistes de réflexions sur des problématiques partagées par l’association comme celles de l’interaction avec le spectateur, du facteur chance et de l’adaptabilité au milieu contextuel.
En 2014, il présente pour un parcours d’art contemporain en Ligurie une œuvre intitulée Instant art, un générateur de formes exposé parmi bicyclettes et jouets d’enfants dans une cour. Constitué d’une caisse en bois munie de cinq chaînettes qui se déplacent aléatoirement, Instant art est semblable à un instrument à corde qui joue tout seul parmi les jouets. Posée au sol, l’œuvre en bois toute simple, génère des formes aléatoires en bougeant les chaînettes grâce à un petit moteur et à un dispositif électronique de contrôle cachés sous la pièce. Le plateau s’agite toutes les 30 secondes proposant une composition de lignes renouvelées formées par les chainettes. Le nombre des chaînettes est important pour l’artiste, il dit : «les 5 chaînettes sont elles en nombre plus neutre que les 3 fils de Duchamp ? Oui et non, car bien que Duchamp se défende d'un quelconque symbolisme en rapport avec le choix du nombre 3, le 3 n'en possède pas moins une symbolique inconsciemment plaquée par le spectateur. Plutôt que de nier celle-ci, elle est assumée mais subit une dévaluation ; il y a 5 chaînettes comme les doigts de la main qui les agiterait s'il ne s'agissait d'une machine. » Avec la conception d’un instrument automatisé, d’une machine à faire de l’art placée parmi d’autres jeux, l’auteur remet en question le statut de l’œuvre, celui de l’artiste comme celui du lieu d’exposition. Seul subsiste le processus d’autocréation. La sculpture que l’on ne peut d’ailleurs plus appeler ainsi a pris toute son indépendance face à son créateur. Le promeneur peut la découvrir dans un instant de surprise voire d’émerveillement et éprouver une expérience esthétique qui elle par contre est bien là.
En 2015 Jean-Louis Paquelin participe à ex Positions exquises à la galerie Le Garage à Lorgues. Cette exposition composée de quatre installations d’artistes différents est conçue sur le mode du cadavre exquis. Chaque artiste reprend un élément de l’installation de l’artiste précédent sans avoir vu l’ensemble, il continue puis cache sa proposition. Le tout est dévoilé lors du vernissage. Jean-Louis Paquelin présente à cette occasion Pastaman, des tirages laser A3 noir et blanc contrecollés sur composite représentant une déité munie de tous les emblèmes de son culte, le pastafarisme qui vont de la sainte passoire aux saintes nouilles. Ce personnage mutant est créé à partir de la représentation de l’artiste, de Shiva aux six bras et du Flying Spaghetti Monster un dieu créé par Bobby Anderson en réaction aux dérives du créationnisme américain. Son installation interroge les mythes fondateurs des grands récits de la création sous le mode du kitsch et de l’ironie donnant ainsi à voir un plaisant mensonge, celui des idéologies. Le Dieu qui possède aussi les traits de l’artiste est tracé à partir d’un processus numérique qui combine différents algorithmes et la technique de ASCII art qui remplace chaque pixel de l’image par un caractère typographique noir choisi pour le contraste qu’il produit sur le papier blanc. Ici la résolution numérique de l’œuvre rejoint la définition poétique de la technè au sens stoïcien du terme hexis hodopoiètiké, « habitus créateur de chemin ». On pourrait supposer que la technique numérique s’arroge la place du créateur et que la représentation de la déité aux multiple bras dénonçe la manipulation du travail de création numérique. Là comme dans toutes les œuvres de Paquelin, la technique spécifique est implicite à la recherche. Dans ce travail l’usage de la technique et de l’ironie lui permettent non seulement de prendre des distances par rapport à une création subjective, égotique, autoritaire mais aussi de proposer une alternative en présentant un processus de création, fluide, indépendant.
Pour la deuxième édition du parcours d’art en Ligurie Ad ognuno la sua p’arte organisé par tadlachance, l’artiste présente un parcours de dessins aléatoires tracés à la craie blanche dans les rues piétonnes de Villatalla. Sous le regard des visiteurs il trace une sorte de pavage de Truchet selon un programme binaire prédéterminé, à l’aide d’une grille et de dés. Son exécution est attentive, systématique, presque hypnotisante ; Un coup de dé un trait, un autre et un autre, elle est sans fin, comme tout processus de création. Là comme ailleurs, le mariage entre le hasard et la technique ordonne la force motrice donnant vie au renouvellement des formes. Le résultat imprédictible forme une sorte de grand labyrinthe où tant l’entrée que la sortie s’enchainent, s’entremêlent se dissimulent selon le rythme des coups de dés. Les rues de ce petit village de Ligurie deviennent le théâtre d’une vie générée par un algorithme simple, les enfants y jouent aux billes ou à une marelle réinventée comme les anciens rêvent en regardant le soleil sur le pattern compliqué de ces nouveaux tapis recouvrant les ruelles. Le travail de Paquelin interroge la notion actuelle du créateur et de la création à l’ère numérique où souvent l’intelligence artificielle prend le relais de l’artiste, où chacun peut s’approprier l’image de l’autre. Par son attitude créative et sensible, l’artiste déjoue le risque identitaire provoqué par la facilité de représentation offerte par l’univers numérisé. En utilisant les codes du monde technologique, ses œuvres proposent le recul nécessaire à toute réflexion sur l’art actuel. Son travail joue avec les écueils qui repoussent les limites et soudainement le hasard contextuel change la direction, le programme prévu. Alors que la dépendance à l’outil numérique et à son formatage finit par rétrécir le champ visuel pragmatique et physique du rapport à la création, l’artiste rétablit avec ces mêmes moyens l’inventivité perdue comme le rapport physique à la création et son interactivité humaine avec le spectateur. Cette dimension relationnelle est le point commun à toute sa production . Elle devient le lieu d’observation du scientifique interagissant avec le public.